Extrait tiré du livre Les Annales politiques et littéraires, tome quatre-vingt-cinquième. Article d’Yvonne Sarcey (nom de plume de Madeleine Brisson). Paris: Rédaction et Administration, 1925.
Une ligue pour l’Amélioration de la Femme, Gallia, suggère une proposition, en somme, très défendable…
Pourquoi, en effet, ce titre éternel de «Mademoiselle», qui marque le printemps de la vie et poursuit ironiquement de sa jeunesse d’honorables vieilles filles aux cheveux blanchis?… Pourquoi apprendre au monde qu’elles n’ont pas d’époux et marquer leur virginité d’une sorte de déchéance?… En nommant un homme «Monsieur», son état civil reste intact et vous n’avez pas l’indiscrétion de signifier à tous qu’il est marié ou à marier; au contraire, en appelant «Mademoiselle» une personne mûrissante, vous étiquetez son célibat et faites irruption dans le domaine de la vie privée.
Maintenant, toutes les bachelières savent parfaitement que «Mademoiselle» vient du latin domicella, et veut dire «jeune maîtresse». Elles sont les premières à penser que ce titre sied à leurs joues en fleur, à leurs vertes espérances, à leur grâce d’étudiante, mais ne convient plus autant aux aînées: les personnes importantes qui ont pris du grade, de leur compétence, le sens de la liberté, et, au fur et à mesure des années, le sentiment de leur valeur.
«Mademoiselle» explique-t-îl tout cela?… Pas du tout… Est-ce un hommage, un signe de déférence? Aux yeux du public, «Mademoiselle» traduit seulement le désert du cœur, le célibat, — imposé ou consenti, peu importe! — en un mot, l’absence de l’amour, cette déclaration de la loi de l’homme est-elle bien nécessaire?
(…)
Car on les regardait vieillir, ces tristes vieilles filles, et s’abîmer dans le reflet d’un rêve éteint. De toutes leurs ferveurs retombées, on fabriquait leurs petits ridicules. Le silence de leurs sourires, le mystère voilé de leurs déceptions, la nuit de leur bonheur, servaient de prétexte à mille traits d’esprit… «Mépris, honte», avait osé écrire le grand Corneille parlant de leur chaste vieillesse… L’opinion et le monde ratifiaient l’horrible préjugé.
Ah! qu’aujourd’hui les femmes célibataires vivent dans un temps plus heureux! Elles en abusent même et tirent furieusement honneur d’une indépendance parfois excessive. «Ni chaînes ni mariage», déclarent ces «dragons» férus de liberté… En quoi elles ont tort. Le mariage restera toujours le but sacré de la jeunesse…
(…)
L’appellation juvénile de «Mademoiselle», qui vient fixer dans la mémoire des indifférents un état d’innocence et de célibat ne regardant guère que la famille, n’a plus, aujourd’hui, sa raison d’être. Et comme toute chose vient en son temps et que chacune naît de son besoin, je ne doute point que bientôt, très naturellement, et parce que cela est logique et conforme aux nécessités modernes, les femmes ayant dépassé l’âge des études et des amourettes, et ayant par leur travail conquis une notoriété quelconque, ne soient enfin appelées «Madame».
Ainsi — l’ordre établi et l’harmonie respectée — finira l’histoire des vieilles filles…
— En ce temps là (conteront alors des dames aux cheveux de neige à des petits enfants qui les écouteront, étonnées), en ce temps-là, il y avait sur la terre des personnes très malheureuses. Une méchante fée n’avait point permis qu’aucun homme les aimât. On les appelait des «demoiselles» et, jusqu’à ce qu’elles mourussent de vieillesse ou de désolation, il fallait qu’elles supportassent ce titre qui faisait rire, parce qu’on le leur donnait bien longtemps après que, n’étant plus aimables ni aimées, leur mine contrite montrait qu’elles eussent souhaité un autre sort. Etc., etc…
Et ce sera le temps heureux où les «Mademoiselle» auront toutes vingt ans…