michellesullivan

Je fus leur second enfant …

In Famille on 13 November 2011 at 14:03

Extrait des Mémoires de Mme Rolland. Deuxième édition. Publié à Paris par Baudoin Frères. 1821.

«Madame Roland, Jeanne – Marie ou Manon Philipon, fille d’un graveur parisien, elle prit feu pour les idées nouvelles et devint, de mémoire d’homme, la première femme chef de parti (…) Madame Roland sera conduite, avec d’autres élites du parti Girondin à l’échafaud où elle sera guillotinée (le 8 novembre, 1793 à Paris). Invoquant la liberté objet de sa foi, ses dernières paroles furent : O liberté, que de crimes on commet en ton nom. »
source

Je fus leur second enfant: mon père et ma mère en eurent sept; mais tous les autres sont morts en nourrice ou en venant au monde, à la suite de divers accidens, et ma mère répétait quelquefois avec complaisance que j’étais la seule qui ne lui eût jamais donné de mal, car sa délivrance avait été aussi heureuse que sa grossesse; il semblait que j’eusse affermi sa santé.

Une tante de mon père choisit pour moi, dans les environs d’Arpajon, où elle allait souvent en été, une nourrice saine et de bonnes moeurs , que l’on estimait dans le pays, d’autant plus que la brutalité de son mari la rendait malheureuse, sans altérer son caractère ni changer sa conduite.

(…)

La vigilance de ma nourrice était soutenue ou récompensée par l’attention de mes bons parens; son zèle et ses succès lui méritèrent l’attachement de ma famille. Elle n’a jamais, tant qu’elle a vécu , laissé passer deux ans sans faire un voyage de Paris pour venir me voir: elle accourut près de moi lorsqu’elle apprit qu’une mort cruelle m’avait enlevé ma mère.

(…)

La sagesse et la bonté de ma mère lui eurent bientôt acquis , sur mon caractère doux et tendre, l’ascendant dont elle n’usa jamais que pour mon bien. Il était tel, que , dans ces légères alternatives inévitables entre la raison qui gouverne et l’enfance qui résiste, elle n’a jamais eu besoin, pour me punir, que de m’appeler froidement mademoiselle, et de me regarder d’un œil sévère. Je sens’ encore l’impression que me faisait son regard , si caressant pour l’ordinaire ; j’entends en frissonnant ce mot de mademoiselle, substitué, avec une dignité désespérante , au doux nom de ma fille, à la gentille appellation de Manon. Oui, Manon, c’est ainsi qu’on m’appelait; j’en suis fâchée pour les amateurs de romans: ce nom n’est pas noble; il ne sied point à une héroïne du grand genre; mais enfin c’était le mien, et c’est une histoire que j’écris.

Madame Rolland

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